Conférence réalisée par Sophie GAILLOT MICZKA
Mardi 12 décembre 2023
L’HISTOIRE DE L’ŒUVRE
Captivé par l’orientalisme, Georges Bizet (1838-1875) se prend de passion pour la nouvelle de Mérimée, Carmen. Dans cette histoire, Carmen est une gitane séductrice de Séville dont le charme n’échappe pas au brigadier Don José qui en tombe fou amoureux. Bizet fait appel à Henri Meilhac et Ludovic Halévy, pour écrire le livret de cet opéra destiné à l’Opéra-Comique, avec qui le compositeur est sous contrat.
L’Opéra-Comique, créé sous le règne de Louis XIV, est l’une des plus anciennes institutions théâtrales et musicales de France. De grandes œuvres y ont été créées, dont le Carmen de Bizet. Aujourd’hui, une statue de Carmen orne l’entrée des visiteurs, mais à l’époque, s’y jouaient des sujets faciles et gais. Le spectateur qui vient en famille est habitué aux opéras comiques à fin heureuse. On profitait des sorties à l’opéra pour nouer des alliances, « marier » des enfants.
L’opéra est un drame théâtral mis en musique et chanté. Il peut se décliner selon les époques en plusieurs genres : opéra séria, opéra bouffe, opéra-comique, opéra ballet…L’opéra bouffe est un opéra traitant d’un sujet comique ou léger, genre musical créé en Italie. En France on a préféré l’opéra-comique (refus de l’opéra italien). Dans un opéra-comique, on rit, on danse, on se travestit…. L’opéra-comique est destiné à la bourgeoisie
L’opéra-comique est un genre d’opéra où les scènes chantées alternent avec les dialogues parlés. Un opéra-comique n’est pas nécessairement comique, ni conclu par un dénouement heureux. Ce genre aborde aussi bien des sujets fictifs, des sujets historiques, il peut aussi traiter des sujets de la vie quotidienne.
Bizet ose rompre avec la tradition : il veut présenter une histoire évoquant passion, violence et se terminant par le tragique destin de Carmen.
Le défi des auteurs du livret Henri Meilhac et Ludovic Halévy est de faire accepter du public un sujet fort différent de ceux qu’on lui proposait d’ordinaire. Une adaptation fidèle de cette tragédie passionnelle et violente en était impensable à l’Opéra-Comique de Paris. Meilhac et Halévy adoucissent le caractère des deux héros. Le personnage de Carmen de Bizet est notamment plus « édulcoré », civilisé, que dans la nouvelle de Mérimée.
Malgré cela, le directeur de l’Opéra au vu du scénario, est exaspéré par cette pièce qu’il juge trop éloignée de ses aspirations : Carmen est une « dévergondée », elle est « cigarière » (ouvrière), bohémienne (apatride) ; on va demander à l’interprète d’être en « haillons », de « crier » … Résumé de l’histoire :
« À Séville, Carmen, jeune bohémienne et grande séductrice, n’en est pas moins une femme rebelle : elle déclenche une bagarre dans la manufacture de tabac où elle travaille, et se fait arrêter. Le brigadier Don José, chargé de la mener en prison, tombe sous son charme et la laisse s’échapper. Pour l’amour de Carmen, il va abandonner sa fiancée Micaëla, déserter et rejoindre les contrebandiers. Mais il est dévoré par la jalousie et Carmen, se lassant de lui, se laisse séduire par le célèbre torero Escamillo. Don José, fou de désespoir, la frappe à mort avec un poignard lors de la scène finale devant l’arène, alors qu’Escamillo apparaît sur les marches du cirque, entouré de la foule qui l’acclame. »
C’est Célestine Galli- Marié, mezzo-soprano qui fût choisie pour interpréter Carmen, et Paul Lhérie ténor, incarna Don José. Jacques Bouhy, bariton-basse interpréta le célèbre Toréador, sous la direction d’Adolphe Deloffre.
Lors de la première, le public est décontenancé, interdit. L’accueil est froid ! Plus que la musique c’est surtout le thème du spectacle qui scandalise. La salle se vide, l’opéra ne rencontre pas le succès escompté, ce qui affecte beaucoup son compositeur.
A la fin du XIXe siècle, le comportement d’une femme libre ne passe pas et les critiques sont assassines.
ALORS, POURQUOI CARMEN A FAIT SCANDALE ?
Le public parisien est heurté, choqué par l’histoire de cette séductrice bohémienne. On en boucherait presque les oreilles des jeunes filles à marier. Carmen est jugée vulgaire, contraire aux bonnes mœurs.
Le public est offusqué contre le caractère immoral du sujet, regretta l’exécution moyenne des musiciens et déplora surtout la longueur du spectacle, jugé interminable.
En effet, avec Carmen, Bizet innove à plusieurs titres, et c’est ce qui ne plaira pas. Il mêle par exemple scènes cocasses et moments dramatiques. Il rompt également avec la tradition en mettant en scène les chœurs pour la première fois. Les chanteurs se baladent par petits groupes au lieu de rester à l’arrière-plan, totalement statiques, comme le voudrait la tradition.
« Ce n’est pas tout. Au sujet, violent et érotique, et aux innovations musicales, s’ajoutent une longueur de la pièce et l’impréparation des musiciens, qui connaissent peu les enchainements et maitrisent mal le jeu. C’en est vraiment trop pour le public ! Lors de la première, en 1875, des cris se font entendre dans la salle : « La mort à l’Opéra-Comique ! ». Le malheureux Georges Bizet se voit même menacé de se faire retirer la Légion d’honneur qui lui a été remise le jour de la première ».
Le 3 juin 1875, au lendemain de la 33ème représentation, il succombe à une crise cardiaque, sans savoir que son opéra connaîtra un succès retentissant à Vienne dans les mois qui suivent. Ce sera le début d’un succès mondial.
Le succès ne viendra qu’à partir du 2 janvier 1878, grâce à l’interprétation à Bruxelles de Minnie Hauk. Sa manière de chanter très intensive entraîne un succès immédiat et est à l’origine de la renommée durable de l’opéra qui avait été infructueux lors de sa création.
Bizet a pris une revanche posthume éclatante, puisqu’aujourd’hui Carmen est l’un des opéras les plus joués au monde.
UNE COMPOSITION BRILLANTE ET INNOVANTE
(Extraits vidéo présentés par la conférencière Sophie Gaillot Micza).
Bizet annonce dans son prélude toute la richesse et la dramaturgie de l’œuvre.
Le prélude est le moment où le rideau est encore baissé, on prépare le public à ce qui va suivre en donnant des extraits de ce qui va être interprété. Le rideau se lève quand la musique s’arrête.
« Le prélude est l’un des plus célèbres de l’histoire de la musique : c’est un Allegro giocoso débordant au rythme joyeux et bondissant correspondant au motif de la corrida, entrecoupé d’abord par un petit thème du quatrième acte (où le sergent se fait copieusement huer) puis par le motif de la chanson d’Escamillo. Il est suivi immédiatement par un sombre Andante moderato dont le caractère inquiétant et frissonnant marque le thème du destin funeste qui sera joué aux moments clefs de l’opéra (Carmen jette la fleur à José, Micaëla convainc José de partir) et résonnera à toute volée à la fin du duo final »
L’histoire se déroule sur une place de Séville, Bizet nous plonge dans l’atmosphère des places ensoleillées. Il y a de la vie : le chœur des gamins
Sur cette place de Séville a lieu la sortie de l’atelier de cigares, les rivalités entre les jeunes filles. Une ouvrière est attendue : c’est Carmen qui, répondant à la question des jeunes gens sur l’amour, répond : L’amour est un oiseau rebelle … l’amour est enfant de bohême…
Don José croise ces ouvrières, mais ne les regarde pas. Carmen regarde les militaires, mais Don José ne lui accorde pas un regard, alors qu’elle est la plus belle femme. Alors elle va tout faire pour gagner son cœur. Pour cela elle utilise un « sortilège ».
Bizet ne va pas la faire chanter. Carmen va prendre une fleur dans son corsage, va traverser la place et arrivée devant Don José, lance la fleur.
Musique : contrebasses, violoncelles et violons en trémolo, chromatisme, la flûte…suit une interprétation par Roberto Alagna : « Cette fille, c’est certain, est une sorcière. Elle m’a fait l’effet d’une balle, qui a percé mon cœur ».
On voit la passion ; passion vient de passior, en latin : qui veut dire en durée. Quand on est passionné, on subit, on ne l’a pas choisi.
Autre scène : Carmen s’est bagarrée avec une collègue, lui a entaillé la joue avec un couteau. Un brigadier rentre, essaie de séparer les femmes. Effet « stéréo » entre les protagonistes et Carmen. Pour les musiciens, c’est un tempo qui paraît injouable. L’extrait s’appelle : Au secours.
Foce, agitation qui arrive dans les deux camps. Carmen est arrêtée, conduite en prison. C’est Don José qui va être chargée de l’escorter.
Dialogue entre les deux : Carmen lui demande d’où il est. Il donne le nom de son village. Elle dit habiter à côté. Il ne la croit pas, dit qu’elle est une bohémienne. Oui, je suis une bohémienne dit Carmen, et tu es tombé amoureux de moi. As-tu gardé la fleur ?
Don José laisse filer Carmen. On a un boléro : musique de plus en plus forte. Puis Carmen va retrouver ses copines, et va charmer les hommes.
Extrait musical : flûte, serpent, vocalises, côté enjôleur jusqu’à la frénésie générale. Deux amies rejoignent Carmen. L’orchestre joue, et Carmen peut être rassurée sur l’effet qu’elle fait aux hommes. Don José rejoint Carmen, ils sont heureux de se retrouver. Carmen fait son numéro avec les castagnettes. Quand tout à coup : sonne la marche de la retraite. Les soldates doivent rentre à la caserne. Différend entre les deux : Carmen ne comprend pas qu’il veuille rejoindre son régiment. Elle va être exaspérée. Bizet va montrer de façon concrète qu’ils ne sont pas compatibles, va faire quelque chose de « moderne ».
Il y a deux mélodies superposées. A l’époque, cela semblait impossible. Il faudra attendre 1920 pour retrouver cela.
Entre temps, Micaëla est venue prévenir Don José que sa mère se mourrait. Il retourne à son village, quitte Séville.
Les fêtes de Séville commencent. Le toréador brille de couleurs extraordinaires.
Carmen a oublié Don José. Extrait : Le toréador : Toréador, prends garde à toi.
Don José va réapparaître, va chercher Carmen, déjà blasée de lui. Carmen a vécu entre temps des amours denses. Don José lui demande de la suivre. Elle refuse, dit : Laisse-moi passer, cette bague, je te la rends…
Don José perd la raison, c’est insupportable pour lui de la voir partir. Il prend son poignard, la tue. Cela se passe pendant les fêtes de Séville : au fond de la scène on entend les réjouissances. Seront superposés : la mort, la vie.
Dernière scène (extrait avec Roberto Alagna) : C’est moi que tu suivras. Frappe-moi donc, laisse-moi passer. Pour la dernière fois veux tu me suivre. Non.
Les violoncelles pleurent, le reste est gai.
« Vous pouvez m’arrêter, c’est moi qui l’ai tuée… »
Ainsi se termine cet opéra. Histoire dramatique, qui décontenance le public. Mais la force musicale de l’œuvre survivra à ce premier essai mal accueilli et l’opéra triomphera sur toutes les scènes internationales. Tout le monde connaît les grands airs de cet opéra, qui est devenu populaire.
Marie Pierre Fourdinier, le 12/12/2023
UTL Pévèle Carembault