Conférence réalisée par Grégory VROMAN
Mardi 5 novembre 2024
I REPRESENTATIONS DU FOU
- Le fou
Le fou est représenté dénudé, il tient un bâton, une massue qui lui permet de se défendre contre ceux qui le poursuivent.
Un autre tient dans sa main un pain « quand ils mangent le pain, ils dévorent mon peuple » dit Dieu.
Le fou est « chauve », plus précisément « tondu ». De même dans Le roman de la rose, une femme convaincue d’adultère va être tondue.
Pourquoi choisit-on de les tondre ? Cela fait référence à un substrat très ancien. Etaient tondus également ceux qui étaient accusés de sorcellerie.
Ils ont été tondus car ils ne croyaient pas en Dieu.
A la fin du 14ème siècle, le fou est plus coloré, le bâton n’a plus la forme d’une massue, mais d’une « marotte », sceptre fait d’un bâton surmonté d’une tête grotesque coiffée d’un capuchon à grelots, considéré comme le symbole de la folie et servant d’attribut aux bouffons de cour. Le mot marotte apparait avec le sens de « image de la vierge Marie », diminutif de Marieè voir mariole : faire le mariole, c’est faire le fou.
L’accessoire le plus récurrent dans l’iconographie des aliénés : le bâton de folie. On le retrouve dans les représentations du fou dans les enluminures médiévales.
La couleur de l’habit du fou évolue aussi et emprunte au safran la couleur jaune (le safran avait comme propriété, pour celui qui en absorbait trop, de provoquer des crises de folie, ou de rireè rire jaune).
Le safran avait une connotation péjorative.
Quant aux marottes : leurs têtes étaient affreuses car le fou est celui qui est « possédé » du mal.
Le coqueluchon (espèce de capuchon) conçu pour laisser passer les oreilles d’âne.
En référence au roi Midas, qui va souhaiter transformer tout ce qu’il touche en or, et s’est vu affublé d’oreilles d’ânes, pour symboliser son idiotie. Il va ensuite implorer le ciel pour être libéré de son vœu
Les oreilles du coqueluchon sont fourrées.
Le « fou » regarde le monde à travers ses doigts. Il tient des lunettes qui déforment le monde.
Au début du 16ème siècle : un fou tient une marotte avec un coq entre les oreilles d’âne. Le coq est un animal qui évoque la folie.
Autre représentation : Trois fous – d’après Brueghel l’Ancien (ci-dessus), un des trois fous a son postérieur qui parle à sa marotte. Cela dénote une trivialité propre à cette région.
Tais-toi : on dit que les fous parlent trop et celui qui se tait devient sage.
On va aussi expliquer que la tonte des fous permet de masser le crâne, pour lutter contre la folie.
Il faut procéder à une trépanation (cf. ci-dessus Jérôme Bosch). L’entonnoir mis à l’envers veut dire qu’il n’y a rien dans la tête, donc le médecin est un charlatan.
On trouve également au musée de Saint -Omer un tableau intitulé : L’excision de la Pierre de la Folie.
- Le bouffon
Il y a eu aussi les « fous du roi ». Triboulet 1er, bouffon de René d’Anjou, dont le portrait a été frappé en effigie.
Vient du mot « tribouler », avoir une cervelle branlante (aujourd’hui, tribulation=affliction, tourment moral).
Autre illustration : Bouffon Don Juan d’Autriche, de Velasquez, bouffon de cour.
Jean d’Autriche deviendra un sobriquet attribué par dérision à un bouffon.
Barberousse lui sera éloigné de la cour à cause de ses propos envers un duc. Il y avait des limites à ce que les « fous » pouvaient dire à la cour.
Autre représentation : celle d’un nain « fou par nature ». Velasquez fait ressortir l’humanité qu’il y a de ces personnages. Quand les choses sont bizarres, elles sont diaboliques, s’il manque quelque chose, comme la taille par exemple.
Autres portraits : les calebasses par Velasquez et celui d’une petite fille en surpoids de Carreno Miranda.
- Le Fou : pièce d’échec
Appelé ainsi car il a un déplacement en diagonale (donc imprévisible), et placé sur l’échiquier à côté du roi et de la reine.
La pièce du fou est oblongue et la partie supérieure est fendue. Appelé « bishop » (évêque en Grande Bretagne). On a retrouvé un certain nombre de pièces qui représentent des évêques, avec la mitre d’évêque. C’est une manière de se moquer de l’Eglise en les représentant sur un jeu d’échecs.
II LA NEF DES FOUS de BRANDT
La nef des fous est un ouvrage allemand écrit par le strasbourgeois Sébastien Brandt en 1494. Ce fut un « best-seller » européen, el le livre le plus vendu après la Bible à l’époque. C’est un livre très illustré. Albrecht Dürer y a réalisé de nombreuses figures gravées sur bois (ci-dessous).
Le titre de l’ouvrage fait référence à la navigation. Il met en scène l’embarquement d’hommes et de femmes en marge de la société. Il y avait des marchands qui parcouraient des villes, et les fous étaient embarqués.
La barque représente l’Eglise qui est fragilisée et submergée par les fous qui se pressent pour embarquer. Ils n’ont ni rames, ni boussole et voguent vers l’Enfer.
L’ouvrage comprend 112 chapitres, recensant divers types de folie. C’est une critique de la société, mélangeant l’ironie et la morale, et il a connu, grâce au ton qu’il emploie, un énorme succès.
La nef des fous a été une source d’inspiration pour de nombreux artistes.
Jerôme Bosch en a tiré aussi un tableau célèbre vers 1500. Il faisait partie d’un triptyque, dont le panneau central a disparu.
Le musée du Louvre a acquis en 1918 la Nef des fous, partie gauche du triptyque.
Il s’agit d’une nef dans laquelle les gens s’amusent, font ripaille. Une nonne joue de la musique (non sacrée, du diable) à un moine. Un petit homme, en habit de fou boit dans une coupe. La barque semble à la dérive.
Aux Etats Unis se trouve l’autre partie du triptyque qui s’imbrique dans le tableau du Louvre. On y voit un fou sur un tonneau. Bosch montre cette vie de dérèglement.
Dans la troisième partie, exposée à Washington, on peut voir un personnage, moribond, et son âme est disputée entre l’ange et le démon. Il aimait accumuler des richesses. Une clé du coffre voisine avec un crucifix. C’est ce type de critique de Bosch que l’on retrouve dans Brandt.
Une exposition en cours au Louvre (Exposition Figures du Fou. Du Moyen-Âge aux Romantiques du 16 octobre 2024 au 3 février 2025, dans le hall Napoléon) y présente un concert dans l’œuf, réalisé par un suiveur de Bosch (l’œuf a remplacé la nef), avec des personnages concentrés : on y chante, on a prévu nourriture et boissons dont les oiseaux se régalent. Le moine se voit couper les cordons de sa bourse. L’âne joue de la musique, des signes démoniaques apparaissent.
L’œuf n’est pas un hasard : le jaune d’œuf est assimilé à un sot.
Dans la danse des œufs, de Peter Artsen (ci-contre), il faut danser près des œufs, sans les casser.
Pour les citadins, les paysans sont sots, ou fous.
Chez Brueghel, on a souvent des visages de paysans assez hébétés (cf. une scène de mariage où il y a un grelot au-dessus de la tête de la mariée)
Est -ce que c’est le livre qui a conditionné toute l’iconographie qui a suivi ?
Non, tout ne provient pas de la Nef des fous, il y avait un substrat . On parlait déjà des fous.
Le vieux roi Ptolémée avait accumulé des livres, qu’il ne lisait jamais .
Brueghel : Le pays de cocagne représente la société : le paysan, le soldat, le bourgeois ne font rien . Ils rêvent d’une maison couverte de tartes. Au premier plan, ou œuf à la coque, un cochon .
Dans des circonstances religieuses, Brandt cite la bible, ex Roboam, fils de Salomon, qui demande des conseils.
Il y a aussi la représentation de la folie de Nabuchodonosor, qui se présente sous la forme d’un animal, la tour de Babel de Brueghel.
Brandt fait référence à des projets insensés (résonnance avec notre époque ?).
Si Sébastien Brandt connaît cette popularité, car il s’adresse à des puissants, dont les ecclésiastiques. Les prêtres ne prêchaient pas, sauf l’évêque et les frères dominicains qui eux, plus cultivés pouvaient prêcher.
III L’ELOGE DE LA FOLIE d’ERASME
Erasme trouve que la pensée de Brandt est trop rigoriste. Pétrît d’humanisme, il a aussi la notion de plaisir dans la vie.
Par crainte que son livre soit mis à l’index en parlant de plaisir, il fait parler « la folie » ; c’est alors normal qu’elle tienne des propos insensés.
Cet esprit de l’éloge de la folie a inspiré des artistes. Brueghel, une fois encore, qui a une maîtrise de la composition assez importante , représente une scène (La danse des paysans) où un couple se dépêche, et on s’aperçoit que les regards des personnages convergent vers une même figue : celle du fou qui « mène le monde ».
Erasme dit : la folie doit s’entretenir, passer d’une génération à l’autre : la femme apprend à danser à une petite fille, équipée d’un grelot ; un musicien souffle dans une cornemuse, assimilée au fou. A l’inverse, Brandt critiquait la musique d’agrément (# de la musique sacrée).
Un autre tableau de Brueghel montre un individu dans un arbre cherchant des œufs. Pour Erasme, c’est un fou qui se moque d’un fou.
Un fou que l’on va trouver aussi dans les livres : on voit une personne âgée sous un portique où est écrit STOIA. Les stoïciens eux-mêmes ne se privent pas de plaisirs
Une autre œuvre : un aquamanile nommé le Lai d’Aristote, qui représente Phyllis (femme de « mauvaise vie ») qui se venge d’Aristote en le séduisant puis en le chevauchant. Cela montre aussi le rapport inégal entre l’homme et la femme.
De même Quentin Matsys représente une série de couples mal assortis : « Avoir les cartes en main » (ci-contre).
La table des 7 péchés capitaux de Jérôme Bosch signifie que ce sont les derniers actes de la vie qui vont déterminer s’il on va au ciel ou en enfer.
Exemple : la luxure, qui ressemble à la tente de la Nef des fous, où un fou figure, frappé par une cuillère.
D’autres tableaux comme le chariot de foin : la foule qui le précède s’engage déjà en enfer.
Ou le fils prodigue qui dépense son argent en compagnie d’une femme (avec Notre Dame de Paris en arrière-plan), ce tableau veut montrer la place de la musique. C’est une mise en garde : la danse est une folie.
IV EVOLUTION DE L’IMAGE DU FOU : l’ART BRUT ?
Le fou, c’est quelqu’un qui est dérangé, mais qui ne le fait peut-être pas exprès.
Milieu du 17siècle le fou des asiles est représenté par William Hogarth (l’enfermement) ; il réalise des peintures très populaires.
Une autre gravure montre que les fous sont tondus, enchaînés. Débat : a-t-on besoin d’être lié quand on est fou.
Des dames viennent « visiter » les fous, par curiosité. On vient prier pour les fous ; on verse une obole comme droit d’entrée.
Lavater, écrivain suisse, et qui s’est surtout fait connaître pour son ouvrage sur la physiognomonie,( traduit en français à partir de 1781), se demande si , dans l’apparence physique, on ne peut pas détecter des travers psychologiquesè portraits d’aliénés à l’Hôpital Charenton
Le docteur Pinel, médecin renommé aliéniste, va ensuite faire en sorte qu’on n’attache pas les chaînes aux fous.
A l’époque du romantisme, on est brillant. Il y a une réaction par rapport au siècle des Lumières.
Il y a l’idée que l’on peut chercher des sources dans l’art ;
A la fin du 18ème siècle, Fuseli va s’intéresser aux fous dans la littérature et aussi à ce qui peut se passer dans les rêves : le cauchemar (night mare)représentant une femme avec une tête de jument à sa droite et un être monstrueux sur son ventre
La gravure d’un personnage assoupi avec des oiseaux s’intitule : Le sommeil de la raison engendre des monstres.
Il montre bien l’esprit nouveau, explore les limites du monstrueux, cette maison de fous.
En France, Jericho aurait été proche d’un psychiatre et peint une série de portraits de fous : ci-dessus, le Monomane de l’envie ; existent aussi ceux du vol, du jeu. S’agit-il de portraits de fous peints en asile ?
Le peintre François Lemoyne réalise le plafond du salon d’Hercule, et se suicide quand il a terminé.
Le sculpteur Messerschmidt, qui a quelques troubles mentaux, va réaliser des têtes de « caractères ». Le modèle, c’était lui !
Ces têtes vont avoir de l’importance par la suite.
Est-ce que la folie est créatrice ? Camille Claudel n’a plus créé quand elle est devenue « folle ». Au contraire, elle démolissait ses œuvres.
Dans l’art brut, tout n’est pas l’expression de fous.
Est-ce que les fous créent ?
Nijinski le danseur s’est essayé à la peinture.
On remarque aussi Messe Noire en 2007 de Gérard Garouste, qui a réalisé aussi en 1981 Orion le Classique et Orion l’Indien.
Certains artistes ont eu des problèmes psychiatriques.
Courbet a représenté l’homme fou de peur.
Dali était fou…du chocolat Lanvin
Mais réjouissons-nous, termine ainsi le conférencier, car plus on est de fous …plus on rit.
Marie Pierre Fourdinier le 5 novembre 2024
UTL Pévèle Carembault